4.Les manufactures à Agen

 

les draps

 

Tout comme leurs voisins montalbanais, les négociants agenais saisirent rapidement l'opportunité d'encadrer une activité textile ancienne : ils contrôlèrent d'abord l'amont (fourniture de matières premières) puis l'aval (achat et écoulement de la marchandise).Mais la multiplication des conflits entre marchands et artisans incita rapidement ces entrepreneurs à rassembler des métiers dans un unique lieu afin de dominer la fabrication.

Lichigaray, originaire d'Orthez, établit la première manufacture agenaise de serges en 1714,à proximité immédiate d'une teinturerie.Bien que soldée par un échec cette tentative incita en 1740 un autre riche négociant, Raymond Bory. Il souhaita rassembler dans un vaste local rue des horloges 128 métiers destinés à fabriquer serges et étamines.Le coût d'une telle opération l'obligea à s'associer avec les frères chemin et au neveu de ce derniers Barthélémy Roux, anobli le 16 août 1777. Bory s'obstina à installer cette manufacture dans un contexte jugé négatif par d'Orgemont pour qui le stock de produits textiles invendus était déjà considérable, l'industrie surmenée et le commerce "anéanti" . Après le refus essuyé par leur père les 3 fils Bory tentèrent d'obtenir le titre de manufacture royale.Devant le caractère jugé modeste de leur activité (32 métiers dont 20 battants dans un coûteux bâtiment pouvant en contenir jusqu'à 120) la demande fut rejetée : ces jeunes gens, auxquels leur père a cédé ce commerce, veulent tirer parti de cet établissement.Il y a actuellement dans les 2 salles basses 32 métiers dont 20 battants.les cardeurs de laine occupent le petit corps de logis séparé d'une petite cour.Les jeunes négociants pourront placer dans les salles hautes ou basse bâties pour cet objet 120 métiers et ils ont le magasin nécessaire pour le service"(mémoire Bory-Chemin,1758-61)

. Les Bory n'étaient alors pas les seuls manufacturiers d'Agen : Charrière, Marseille tentèrent leur chance tout comme les frères Chemin qui fondèrent leur propre établissement rue porte-neuve,détruite en 1770 par un incendie accidentel . Pierre et Joseph Pélissier créèrent leur atelier en 1751.Ils durent cependant se cantonner très rapidement au seul commerce des toiles.Georges confia ainsi la fabrication de serges à un seul artisan chargé de répartir le travail chez plusieurs fileuses . Son beau-frère Pierre Gounon dut lui aussi échouer dans sa tentative puisqu'il opta pour la fabrication de toile à voile. Pour poursuivre leur activité, les Bory durent s'associer avec d'autres négociants, Guitard Charrière et Marseille, mais surtout ajouter à la fabrication l'impression de toiles peintes et d'indiennes. Les serges et étamines persistèrent durant la Révolution : Géraud Marseille s'associa avec Delsol et Martin afin de créer une fabrique qui employait 90 personnes en 1793. mais seulement 30 en 1794.Marchand drapier en 1806,il n'emploie alors qu'un unique serger : le terme de manufacture ne correspond en effet à la fabrication de toiles que durant la première moitié du XIXième siècle.Des tentatives isolées ne parviennent pas à enrayer l'extinction de cette activité : Dumon s'associe temporairement à Aunac, Jérôme Charrière poursuit son activité en 1802-1803. Les serges d'Agen, réputées pour leur solidité, les étamines et les cadis virent peu à peu leur exportation diminuer : cette dernière se faisait vers les colonies françaises puis presque uniquement vers l'Espagne (10000 pièces en 1760), l'Italie et le Levant (serges écarlates et serges dites "façon de Gênes).Ces exportations passèrent au total de 4000 pièces en 1789 à 1000 en 1800 et furent pratiquement nulles en 1809.La cause majeure de cette chute résidait selon le préfet dans la concurrence des toiles "étrangères" vendues comme toiles d'Agen lors des foires locales.

. Agen n'a contrairement à Montauban presque jamais réussi à dépasser le cadre de la production artisanale que les négociants réussissaient avec plus ou moins de bonheur à concentrer.

Selon Claude Lamouroux cette activité n'aurait pu être sauvée que par "l'établissement d'une fabrique dont l'entrepreneur peut à son gré diriger tous les ouvriers en variant les couleurs et l'apprêt" .La permission d'impression accordée à un fabricant en mars 1752 ,après une période de prohibition, consacre la renaissance officielle de la teinture à la réserve. La création de telles manufactures à Agen s'inscrit dans le cadre plus large d'un élan de multiplication des indiennes après 1759,année de l'autorisation royale de l'impression sur tissu. L'appelation de manufacture ou de fabrique accordée à certains établissements ne dépassant pas la taille d'un banal atelier de teinture indique généralement que l'activité échappe à l'organisation réglée des métiers. Cette industrie reste ainsi pour longtemps "ouverte à de nombreux candidats issus du comptoir, de la boutique ou de l'atelier" . Guitard crée à Agen la première manufacture de toiles peintes en 1778.Cet établissement situé rue Garonne est jugé considérable par Latapie.Imprimant 2500 à 7000 pièces de toiles d'Inde ou de Rouen, générateur de 90 emplois, il souleva l'inquiétude des fabricants de serges voyant dans l'indiennage "le dernier coup de massue devant anéantir leur fabrique" .Devant cette réussite et face au nouvel engouement du public pour les toiles peintes (rideaux, mouchoirs ou robes) d'autres commerçants se lancèrent dans l'aventure : Claude Lamouroux créa avec son cousin Claude Marcot une manufacture sur le "modèle de Jouy" (45). installée près de la porte du pont-long puis déménagée grâce à l'achat d'un bien national sous la Révolution . Lamouroux fit bâtir un "vaste et magnifique édifice" entouré par une vaste prairie avec ateliers, lavoirs, puits, jardins et terrasses..Soucieux de contrôler la moindre étape de fabrication, le fabricant se chargeait lui même du dessin de ses moules.Il vendit ensuite son atelier à son contremaître Joseph Dubois, venu spécialement de Laval, avant d'en créer un nouveau .La production passa de 1000 pièces en 1782 à 4000 en 1789 pour baisser et passer ensuite à 3500 pièces en 1800. Cette entreprise périclita peu à peu bien que Lamouroux ait été le seul agenais à tenter de se moderniser par l'adoption des fourneaux "à la Rumford" et à se diversifier .Le déclin s'annonçait dès 1795 : "mon industrie n'est pas un être positif mais un être négatif pour moi".

L'autre grand indienneur ne put guère mieux résister.La famille Lauzun créa 2 manufactures : celle de "Lauzun aîné et fils" (1778) et celle de Lauzun cadet.Allièe par mariage aux Lamouroux à la fin du siècle, la famille ne put maintenir ses activités manufacturières mais réussit à ne pas aliéner sa fortune et à réorienter son commerce. Parallèlement à sa fabrique de molletons, le négociant Darribeau créa son propre atelier d'indiennes qui ne produisait que 2200 aunes en 1800.Jean Guenin s'associa avec Dubois pour monter une petite manufacture très peu importante . .Jean-François Biot tenta également sa chance mais dut revendre sa fabrique à Arnaud Lauzun.Somabère, Dumay et c° proposaient en 1814 leur service d'impression à la région mais ne semblèrent guère prospérer. Unique en Lot-et-Garonne (sauf un atelier à Nérac en 1806 et celui de Maydieu à Villeneuve),cette industrie agenaise de toile peinte ne survécut pas à la Restauration qui, améliorant la circulation des hommes et des biens, consacra la suprématie de nord de la France.

Incapable de s'adapter aux contraintes extérieures et à une conjoncture changeante, Agen ne put rivaliser avec Montauban. Hormis ces 2 pôles, l'activité textile était extrêmement dispersée en moyenne-Garonne : les négociants et marchands en gros de Moissac, Marmande ou Tonneins faisaient ainsi travailler en fonction de la demande des paysans à domicile, faisant ainsi vivre de nombreux bourgs.Il faudrait pouvoir esquisser la part de cette activité dans l'économie rurale de la région.

 

Le chanvre

Unique en moyenne-Garonne,la manufacture de toile à voile des Gounon était selon Latapie en 1776 "la plus considérable ou, pour mieux dire, la seule manufacture qui mérite ce nom".Young devait porter 10 années plus tard un jugement similaire (52)..Le dernier héritier du fondateur Pierre Gounon mourut le 4 avril 1821 après avoir légué son entreprise à son neveu Jean-Pierre Laborde . Ce dernier la transforma en petite fabrique à la production relativement restreinte. Cet établissement fut étranglé par sa dépendance à l'égard des commandes mais surtout des paiements du ministère de la marine, son unique client : une étude dans les archives de ce dernier pourrait peut-être nous apporter quelque éclaircissement.

La corderie était particulièrement importante dans la région d'Aiguillon, Port-Ste-Marie, Marmande et Tonneins.Elle connut la prospérité durant la guerre d'Amérique mais fut durement touchée par la décadence de la marine française et par la perte des marchés extérieurs.700 cordiers filaient 15000 quintaux de chanvre en 1789.Ils n'étaient plus que 200 travaillant 3000 quintaux en 1801. latapie décrit en 1785 la corderie royale de Tonneins : "ce bâtiment composé d'un seul corps de charpente soutenu par des piliers carrés de briques était long de 1000 pieds de longueur".Le chanvre du pays (30000 quintaux produits alors dans l'élection d'Agen) ne suffisait pas et devait être complété par des exportations auxquelles devait également recourir la manufacture de toile à vile.Cela d'autant plus que 200 cordiers particuliers travaillaient également. Après les vicissitudes révolutionnaires et impériales, cette activité connut un nouveau souffle sous la Restauration, Tonneins envisageant d'ailleurs de redevenir corderie royale.30 établissements occupaient en 1825 727 ouvriers et les 215 métiers produisaient pour 300000fr de cordes expédiées vers les ports du Languedoc, de Bordeaux, de Bayonne et de Rochefort.

Retour au sommaire