L'ANCIEN REGIME.

La situation globale de la moyenne Garonne se révèle en fait être celle d'une économie à dominante agricole , animée par des pôles commerciaux longtemps doublement dépendants de Bordeaux (à la fois source d'approvisionnement en denrées principalement coloniales et débouché primordial des productions de la région) et de Toulouse qui ne joue cependant guère que le rôle d'un point de transit : c'est à partir de Moissac que la Moyenne-Garonne regarde essentiellement vers cette ville ainsi que vers le Languedoc. La fin du règne de louis XV est synonyme d'années prodigieuses sur le plan commercial.Mais dès le début des années 1780 se dessine la perspective de moments difficiles : une partie du négoce, à Bordeaux comme dans les villes de moyenne Garonne ou dans les vignobles de Cahors, de Gaillac ou des rives de la Dordogne, commença à sentir ou à subir un malaise grandissant qui allait mener à la crise prérévolutionnaire.

 

LA TOURMENTE REVOLUTIONNAIRE ET L'EMPIRE

 

La tourmente révolutionnaire ébranla les bases économiques de la région, révélant ainsi la fragilité considérable d'une trop grande dépendance envers le commerce colonial qui fut tout au long du XVIIIième siècle une composante essentielle de sa dynamique commerciale, agissant par ses demandes directes et par l'activité suscitée répercussion de la perte des colonies doit occuper une place importante dans l'étude de la conjoncture économique.La perte du Canada, fut déjà très durement ressentie.La recrudescence des troubles à Saint-Domingue et à l'île Maurice,qui devaient aboutir à la révolte des esclaves d'août 1791,désorganisa peu à peu les échanges avec la métropole et, indirectement avec la moyenne Garonne. La supériorité maritime anglaise ainsi que la perte des colonies portèrent un coup très dur au commerce de cette région privée soudainement d'un débouché primordial .Noubel s'inquiète en 1790 : "les colonies d'Amérique, dans leur situation actuelle, sont la source de notre prospérité, de l'échange.Des relations établies entre elles et la métropole résultent les avantages et les progrès florissants de l'agriculture, des manufactures et des arts" (Journal patriotique de l'Agenais , 9 janvier 1790). l'impact de cette perte peut être illustrée par la correspondance des négociants de la vallée : ainsi un agenais écrit-il "j'ai versé un torrent de larmes, voyant encore la plaine de Port-au-Prince incendiée par la révolte des nègres". Une femme de commerçant s'inquiète de l'absence de nouvelles de son mari : je crains qu'il n'ai subi le sort d'un grand nombre de victimes de ces malheureuses colonies". Il serait intéressant de voir à cette occasion l'implication des grands négociants Agenais et Montalbanais dans ces colonies Le problème des ravitaillements et des subsistances est également capital .L'exmple de la loi du Maximum est peut être le plus important pour le commerce.Adopté le 4 mai 1793durant la Terreur, le premier maximum crée un choc considérable au sein d'une économie déjà affaiblie.Le second, adopté le 29 septembre 1793 n'est pas mieux accepté. les archives municipales des différentes villes conservent les tableaux des nouveaux prix ainsi que les listes des accapareurs..Il convient également d'étudier les autres problèmes qui ont entravé les échanges commerciaux : agiotage, manque de numéraire, réquisitions de toute sorte .La perception de cette conjoncture troublée passe nécessairement par l'étude d'un grand nombre de documents le plus souvent épars et très diverses, allant des registres communaux à ceux des différentes administration, de la lecture des journaux à celle des correspondances commerciales qui nous sont parvenues La paix toute relative apportée par le Consulat et l'Empire permit de rétablir un certain équilibre économique et de développer commerce et industrie.Après la signature du traité d'Amiens la conjoncture était jugée positive : "la main puissante qui venait de saisir les rênes de l'Etat ne laissait plus à craindre les retour des troubles intérieurs et assurait au commerce une protection efficace" . Le blocus , aggravé par les traités de Berlin (21 novembre 1806) et de Milan (23 novembre 1807) provoqua en Moyenne-Garonne de nombreux problèmes d'approvisionnement. Louis Bergeron souligne le fait qu'avec la Révolution et ses guerres un équilibre caractéristique de la prospérité du XVIIIième siècle se trouve irrémédiablement ; c'est cet équilibre qui, abstraction faite des sociétés qui vivaient et continueraient à vivre longtemps de la production agricole et de ses échanges infra-nationaux, orientait la croissance industrielle et commerciale vers sa façade atlantique.Les échanges maritimes animaient l'arrière-pays bordelais dans une grande profondeur.François Cluzet qualifie de fluctuant le grand commerce bordelais pour la période 1789-1814 hormis les 2 interruptions de 1799 et 1808.

Montauban était à la fin du XVIIIième siècle au faîte de sa puissance politique et économique.Les faubourgs Villebourbon, Sapiac et Le Moustier avaient atteint leur expansion maximale et les grands hôtels du centre reflétaient la puissance du négoce de la cité.Arthur Young admirait la richesse agricole du terroir de la ville mais notait également des faiblesses majeures : l'activité était basée sur le blé (exporté vers l'Espagne ou réservé à la minoterie) et le maïs (pour la consommation locale) : cette quasi monoculture abîmait les sols ; trop extensive et déprédatrice, elle était bloquée par un système social figé. Guerre d'Espagne et Blocus continental désorganisèrent gravement les échanges qui faisaient la richesse de la moyenne Garonne et marquèrent le début d'une phase de désindustrialisation.Peu d'éléments permettent d'appréhender la chute commerciale.Les archives des tribunaux de commerce ne comportent par exemple que peu de registres de faillites.La correspondance préfectorale est importante mais difficile d'accès car ne comportant pas d'index. D'autres facteurs entrent en jeu : Montauban souffre ainsi de sa perte d'importance administrative.Bernard Andrieu souligne qu'elle ne contrôle qu'un tout petit département en 1808,Montauban fut rapidement distanciée par Toulouse qui ne fut pas touché par l'affaiblissement de la navigation sur la Garonne, le débouché de ses productions étant l'Espagne et, dans une moindre mesure, la Provence, ce qui la dispensait d'exploiter les éventuelles possibilités offertes par des relations continues avec Bordeaux.La politique impériale favorisa au contraire l'axe Toulouse-Barcelone.Montauban connut de ce fait la force d'attraction de sa voisine, attraction constante durant le siècle. Le grand commerce de la ville s'étiola peu à peu pour ne laisser place qu'à une économie purement locale, à une fonction de marché agricole.Il s'agit donc de percevoir ce déclin, de trouver les causes d'un déclin qui touche d'ailleurs l'ensemble de la Moyenne Garonne La période impériale se caractérise paradoxalement par une politique d'investissements fonciers ; ce type d'investissement est issu d'une tradition séculaire dans une région ou la position sociale se traduit par l'importance de la propriété et de la rente foncière.C'est durant cette période que se généralise le terme de propriétaire, adopté par de nombreux négociants qui rentrent dans la catégorie des "personnes actives plaçant les qualités de propriétaire au dessus de leur qualité professionnelle, l'une dissimulant l'autre" (69). Une conjoncture semblable caractérise la région agenaise.Rapports préfectoraux et départementaux regorgent de plaintes concernant des échanges asphyxiés par la chute bordelaise et de l'absence de numéraires: " notre pays qui semble placé par la nature au centre de l'entre-deux-mers pour être l'entrepôt des échanges que le commerce de l'océan a continuellement à faire avec celui de la Méditérranée.Ce pays qui semble propre à l'établissement de toute sorte de manufacture est cependant à peu près dépourvu de toute industrie.Il reste pauvre au milieu de son abondance".La série N et la correspondance préfectorale demeure le baromètre de cette crise (70) tout comme la série 6M.. Paradoxalement, quelques fortunes parviennent à s'édifier durant cette période difficile ; il faudrait connaître les nouvelles orientations adoptées par les commerçants.

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